Entretien – Abdoulaye Touré (FC Nantes) : « D’autres personnes ont des problèmes bien plus graves que les miens »

Depuis ses douze ans, il tape dans le ballon avec ce même maillot jaune et vert sur les épaules, celui du FC Nantes. Alors qu’il joue sa quatrième saison en tant que professionnel, Abdoulaye Touré n’a pourtant que très peu eu sa chance en Ligue 1. Entretien avec l’un de ces footballeurs pour qui la vie n’est pas toujours rose sur les pelouses vertes.

Lassana Diarra (Olympique de Marseille), Marco Verratti, Blaise Matuidi (Paris Saint-Germain) : de ces grands milieux défensifs de Ligue 1, Abdoulaye Touré est encore un peu loin, quoi qu’il veuille bien les affronter si l’occasion se présente… Malheureusement, ça n’est pas encore le cas. Titulaire à Monaco (0-1) et contre Lyon (0-0), entrée en jeu face à Toulouse (1-1) et à de multiples reprises convoqué par Michel Der Zakarian pour garnir le banc de touche du FC Nantes, Abdoulaye Touré, 1,87m, attend sagement son tour et ne cesse jamais de travailler.

Pourtant, si son nom ne vous apparaît pas complètement inconnu, c’est que vous suivez, je n’en doute pas, les performances du grand gaillard à la foulée près. Ou alors, si ce n’est pas le cas, l’affaire des trois points contre Bastia, en août 2013, viendra vous rappeler que la victime collatérale d’une immense bourde du club n’était autre qu’Abdoulaye Touré. Cette saison, le franco-guinéen réapparaît sous le maillot jaune et vert. Pour Dans Ton Sport, il s’est confié sur son parcours, son ressenti en Ligue 1 et sa vie privée qui, vous allez le voir, ne manque pas de rebondissements.

© Droits réservés

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Avant de signer au FC Nantes, tu jouais à la Sainte-Anne de Vertou, club de la banlieue nantaise. Comment s’est faite ton arrivée à la maison Jaune ?

J’ai commencé à jouer très jeune, dès l’âge de six ans. Avec mes deux frères, on a signé une licence à Vertou. À l’époque, j’étais entrainé par Johann Sidaner, qui avait remarqué certaines de mes capacités. Il en a parlé à son frère, Yvonnick, qui était entraîneur dans les sections jeunes du FC Nantes. Joël Bichon, ancien recruteur sur la région nantaise, voulait alors me signer. Mais après mûres réflexions, j’ai préféré faire mes débuts à la Sainte-Anne de Vertou pour avoir le temps de progresser et ne pas brûler les étapes. En poussin et débutant, ils m’ont constamment suivi et me donnaient la possibilité de faire les tournois avec eux en France et ailleurs alors que je jouais pour Vertou. À douze ans, je me sentais prêt et j’y suis allé.

Tes frères ont suivi la même voie que la tienne ?

Non, pas tellement. Héréba est toujours à Vertou, et joue en équipe première (CFA2). Bafodé, en revanche, a complètement arrêté le foot : il voyage beaucoup.

Aujourd’hui, tu as 21 ans et neuf saisons au sein de la Maison Jaune. À l’exception de six mois au Poiré-sur-Vie (National) où tu as été prêté la saison dernière. Comment l’as-tu vécu ?

Franchement à la base, je ne voulais pas partir. Pour moi, partir en prêt, c’était une manière de fuir la concurrence. Mais au fur et à mesure, j’ai pris conscience qu’il n’y avait vraiment pas la place, même si je mettais tout en oeuvre pour la gagner. Après, tout a été très vite.

« Tout joueur de football doit accepter la concurrence »

Ce prêt, justement, ce n’était pas une façon pour Michel Der Zakarian de te faire jouer pour te récupérer avec de l’expérience supplémentaire ?

Concrètement, c’était vu avec le coach que je parte pour avoir plus de temps de jeu et que je puisse m’aguerrir à un niveau supérieur à celui de la réserve nantaise. Le fait de basculer du monde professionnel, dans lequel je vivais depuis plusieurs saisons, à celui des amateurs, ça fait bizarre. Malgré tout, j’ai appris beaucoup de choses et j’en tire une belle expérience.

Au poste de milieu défensif, il y a toujours eu une grosse concurrence au FC Nantes, mais tu veux justement t’y frotter…

De toute façon, tout joueur de football doit accepter la concurrence. Sinon, il doit faire un autre métier. De mon côté, je la vis très bien, malgré qu’il y ait du monde au milieu. Guillaume Gillet (arrivé cet hiver en provenance d’Anderlecht) vient s’ajouter à la liste. En début de saison, le coach pensait encore que la meilleure chose était, pour moi, de repartir en prêt. Mais je lui ai dis que j’étais réellement prêt à accepter la concurrence et que j’avais à coeur de gagner ma place au FC Nantes.

Pourtant, tu n’as que très peu joué jusqu’à présent (216 minutes en Ligue 1 et 82 en Coupe de France sur quatre saisons avec le FC Nantes).

Oui, c’est sûr. La saison dernière, je n’ai pas fais une seule apparition. Mais cette année, j’ai eu la chance de pouvoir jouer avec les blessés et les suspendus. Le coach a aussi dû remarqué mes performances avec la réserve (CFA). J’ai continué à travailler sans jamais lâché le morceau. Après, je respecte ses choix. Je suis conscient de mes qualités et de mes défauts. Je sais que je peux m’imposer dans cette équipe.

© AFP / VALÉRY HACHE

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Comme l’a fait Valentin Rongier (21 ans) , ton pote avec lequel tu as tout vécu au FC Nantes.

Valentin est sorti au grand jour, et je lui tire mon chapeau. Lui aussi, il revient de loin. On a fait toutes nos classes ensembles. Déjà quand je faisais les tournois jeunes avec le FC Nantes, il était là. Alors évidemment, ça montre qu’il y a la place pour s’imposer dans cette équipe. J’espère simplement pouvoir être le prochain.

« Certains ont pu penser que j’avais été pénalisé par cette affaire… »

Il y avait sûrement la place contre Bastia (le 21 août 2013, première journée de Ligue 1). Tu rentres en jeu à la 67e minute, le FC Nantes gagne 2-0 sur le terrain, mais perd ses trois points parce que tu étais suspendu pour avoir reçu trop de cartons en CFA et U19 la saison précédente. Penses-tu que cette affaire a été un frein pour ta carrière ?

Dans la presse, mon nom était instinctivement approprié à cette affaire. Alors oui, ça été un frein médiatiquement. Heureusement aujourd’hui, les personnes dans la rue ne m’associent plus à ça. On n’arrive davantage à parler football. À l’époque, je suis sorti du groupe juste après, mais le coach a pris une décision uniquement sportive. J’ai continué à travailler, sans avoir l’impression de perdre mon temps.

Ton manque de temps de jeu était donc une simple explication sportive ?

Exactement ! Certains ont pu penser que j’étais pénalisé par cette affaire, mais ce n’est pas le cas. Tout ça a été jugé sur le plan sportif, uniquement.

À ce moment-là, quelle était ta relation avec le staff ? Parce que tu n’y étais absolument pour rien…

La relation avec Michel Der Zakarian est identique à celle d’aujourd’hui, elle est strictement professionnelle. Dans cette affaire, j’ai eu la chance d’avoir le soutien de la famille Kita (Waldemar et Franck). J’ai pu m’entretenir individuellement avec le président, qui m’a assuré que je n’avais rien à me reprocher, qu’il ne fallait pas que je baisse les bras et qu’il croyait en moi.

Avec du recul, tu penses que cette sanction est avérée ?

Honnêtement, je pense que c’est sévère. D’accord, je dois être sanctionné parce que j’ai pris trois cartons en l’espace de trois mois (ou dix matchs). Si une suspension devait être effectuée, ça devait être pour les matchs qui suivent. Or, il y a eu l’intersaison. Pour moi, ces cartons-là devaient être annulés pour la nouvelle saison. Et puis, je ne suis pas du genre à faire beaucoup de fautes, encore moins prendre des cartons. Ce n’est pas mon jeu.

« La Coupe de France, c’est un raccourci pour l’Europe »

Justement, comment caractériserais-tu ton jeu ?

Ma plus grosse qualité est de constamment vouloir aller de l’avant et casser des lignes, que ce soit par une passe ou une prise de balle. Pourtant, je suis conscient de devoir travailler sur mon explosivité. Je suis grand et j’ai besoin d’être mobile sur un terrain. Et paradoxalement à ma taille (1,87m), je n’ai pas un très bon jeu de tête. Je suis à l’aise techniquement, avec les deux pieds, j’aime bien les duels et je pense avoir une bonne qualité de passes et de relances. Je sais sur quels points je dois continuer de travailler.

Des qualités que tu espères mettre à contribution contre Mantes (CFA) en Coupe de France…

Évidemment, j’espère être dans le groupe voire même dans le onze de départ. Au tour précédent, j’ai joué soixante-dix minutes contre le Blanc-Mesnil (DH, 2-0). Après, la décision revient au coach. Il a dit vouloir faire tourner après un mois de janvier chargé. On verra…

À la suite de ton prêt la saison dernière, tu connais forcément cette motivation pour une équipe de niveau inférieure. Avec le Poiré-sur-Vie, tu avais joué contre Auxerre (L2) en seizièmes de finale…

Et nous avions perdu aux tirs aux but, à domicile. Quand le plus petit club reçoit chez lui un club professionnel, il y a forcément un avantage de jouer avec l’aide du public qui décuple la motivation. Ce sont des matchs pièges. De ce côté-là, il existe une vraie magie de la Coupe de France. Il faudra qu’on soit vigilant à Mantes.

Pour le FC Nantes, c’est un objectif ?

Oui, c’est un objectif. C’est un raccourci pour atteindre plus facilement l’Europe.

Et Waldemar Kita, il y a quelques semaines, affirmait toujours vouloir terminer dans les huit premiers du championnat. Selon toi, c’est envisageable avec l’effectif tel qu’il est aujourd’hui ?

Bien sûr. Tout est possible. Nous avons eu un mois de décembre très compliqué, mais avec la qualité qu’il y a dans l’équipe, les huit premières places sont très largement abordables.

C’est aussi à la faveur d’un championnat extrêmement serré…

Le PSG joue dans un autre championnat. Après le reste, ça se vaut. On voit quelques fois des résultats qui sont surprenants. De façon générale, je suis tous les championnats, tous les jours, que ce soit à la télé, sur internet, regardé ou parlé. Ma vie se résume au foot. J’ai souscris à tous les abonnements possibles : tout y passe (rires).

Abdoulaye Touré (àgauche) avec Kurt Zouma (à droite), en Équipe de France U17 © FFF.fr

Abdoulaye Touré (à gauche) avec Kurt Zouma (à droite), en Équipe de France U17 © FFF.fr

« Je ne pense vraiment pas que c’était un couteau »

Ce qui n’empêche pas de te déplacer pour voir du sport. À l’image du 17 novembre 2014, où tu assistais à une rencontre de futsal dans ton quartier de Malakoff. En sortant du gymnase, tu t’es fais agressé. Racontes nous…

On ne va pas rentrer dans les détails. Je ne connaissais absolument pas ces personnes. A priori, il s’agissait de deux bandes rivales de la ville qui avaient des comptes à régler.

Les médias parlent d’une agression au couteau. Tu confirmes ?

Alors oui, j’ai entendu, à droite, à gauche, que c’était des coups de couteau. Mais ce n’était pas ça. Ça semblait tellement lourd.. Parce qu’avant de remarquer l’entaille que j’avais en haut de la cuisse (il s’en sort tout de même avec quatre points de suture), c’est comme si j’avais reçu une très grosse béquille. Je ne pense vraiment pas que c’était un couteau…

Deux jours plus tard, ton petit cousin (âgé de treize ans) est touché à la jambe d’une balle perdue alors qu’il se promenait sur son vélo. Comment se porte-t-il aujourd’hui ?

Il se porte bien. Il marche, il n’y a aucun problème. C’était dans le même quartier, à Malakoff..

Tu n’as pas l’impression d’être maudit quand on amasse les affaires sportives et extra-sportives ? On parle de toi, mais pas de tes prestations, finalement.

Ça tombe sur moi, comme ça aurait pu arriver à quelqu’un d’autre. Mais de là à dire que je suis maudit, non pas du tout.

Il est vrai que je viens d’un milieu qui est très difficile (le quartier de Malakoff était l’un des plus chauds de Nantes). Le foot est un sport que je fais depuis petit, celui que je veux faire depuis toujours. C’est mon métier, le tremplin où je m’exprime le mieux. Il y a un plus, c’est l’aide financière. Ce n’est pas le but premier, mais ça me permet d’aider ma famille. Ma maman a subit plusieurs opérations à un genou, et marche difficilement aujourd’hui. J’ai pris un appartement dans le même quartier, pour ne pas être trop éloigné de chez elle. Après, c’est une histoire que je ne souhaite pas à tout le monde et qui peut en inspirer d’autres. Ce n’est pas facile, mais je ne vais pas me plaindre non plus. J’ai un toit où dormir, ma famille est en bonne santé, je le suis aussi. D’autres personnes ont des problèmes bien plus graves que les miens.

© Abdoulaye Touré

Abdoulaye Touré (devant), accompagné de Anthony Walongwa et Yacine Bammou (FC Nantes) © Abdoulaye Touré

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Propos recueillis par Kévin GUISNEL  

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